mercredi 26 mai 2010

Comment les semenciers tentent d’asservir l’agriculture paysanne

Par un intense lobbying auprès du Parlement, les semenciers profitent du projet de loi sur la modernisation de l’agriculture pour asseoir leur contrôle sur les semences et les plantes. Objectif : faire des paysans qui replanteraient les fruits de leur récolte des délinquants. La bataille législative s’annonce rude.

Les sénateurs ont commencé à discuter ce 18 mai de « modernisation de l’agriculture », nom du projet de loi déposé par le ministre de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche, Bruno Lemaire. Alors que le modèle agricole est confronté à une profonde crise, le texte n’apporte pas vraiment de solutions. Sauf peut-être pour les semenciers.
Ces entreprises contrôlent le secteur des semences : un chiffre d’affaires annuel de 2,3 milliards d’euros, dont la moitié est réalisée par le leader français du secteur (avec Monsanto ou Syngenta), Limagrain. Ces opérateurs économiques considèrent le vivant en général - ici les semences et les plants, sources de toute activité agricole - comme une banale marchandise. Le contrôle et la commercialisation des semences servent à maximiser les rendements et les profits tout en rendant « captifs » les clients : les agriculteurs.
Agriculteurs captifs
Aux Etats-Unis, cette captivité passe notamment par les brevets, sur les OGM par exemple ou sur telle variété de tomate calibrée. En Europe, l’industrie préfère asseoir son contrôle sur le monde paysan par d’autres moyens : les certificats d’obtentions végétales (COV). Moins connus et moins décriés que les brevets sur les variétés de céréales ou de légumes, ces certificats peuvent s’accompagner d’un brevet sur des gènes manipulés. Ils sont considérés par les semenciers comme « un titre de propriété ». Ils interdisent « à quiconque la production et la vente des semences de la variété sans l’accord de son propriétaire, l’obtenteur ». Bref, la graine que vous plantez dans votre potager ou les semences qu’un paysan compte réutiliser l’année suivante appartiennent aux semenciers. Et cela, avec la bénédiction de nombreux sénateurs.
Car le lobby des semenciers, le Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS), a arpenté les couloirs du Sénat. Il a convaincu plusieurs honorables parlementaires de déposer une série d’amendements pour renforcer le contrôle par les grands groupes sur les semences paysannes, celles que produisent et s’échangent les petits exploitants.
Graines de lobbyistes
Les lobbyistes des semenciers sont très efficaces. Leurs amendements sont passés, quasiment sans modification, de leurs bureaux aux pupitres du Sénat. Certains sénateurs n’ont pas hésité à jouer les coursiers pour déposer ces amendements. Ceux-ci sont complexes, techniques, encore plus difficiles à lire et à comprendre que les habituelles dispositions de loi. En résumé, il s’agit d’étendre les protections, donc le droit de propriété, qu’offrent les COV, non seulement aux semences commercialisées mais aussi au fruit de leur récolte. Pour l’instant, un certificat d’obtention végétale « concerne exclusivement le matériel de reproduction ou de multiplication », explique le Réseau semences paysannes qui monte au créneau contre ces amendements. Autrement dit, il s’applique à une variété précise de plante qui pousse dans un champ, et non à la récolte de cette plante. Que se passera-t-il en cas d’adoption de ces amendements ? Quand un agriculteur achètera et plantera des grains de blé Limagrain, les grains que ce blé produira appartiendront à la multinationale, ainsi que la farine ou le pain fabriqués à partir de ce blé si l’agriculteur reproduit ses semences à la ferme sans payer de royalties à Limagrain.
Si les semenciers insistent tant pour que le droit français évolue, c’est pour faire condamner les agriculteurs qui ne leur verseraient pas ces royalties. Tous les paysans qui réutiliseraient leur récolte seront ainsi accusés de contrefaçons, ceux qui ont réutilisé une variété protégée comme ceux qui n’utilisent que leurs propres semences issues de leurs propres sélections. Ils seront traités comme de vulgaires fabricants de faux sacs Vuitton ou de fausses lunettes Ray Ban ! Bref, ils seraient condamnés pour avoir « contrefait à l’usage » de certaines semences.
Paysans délinquants
C’est ici que l’on atteint le comble de la mécanique capitaliste appliquée au monde agricole. Les gros semenciers recherchent davantage de profits et plus de pouvoir sur le vivant. Forts de leur puissance de feu financière et politique, pour éviter que des filières indépendantes se développent, type Kokopelli ou Réseau semences paysannes, ils tentent de criminaliser toute alternative. Ils font des paysans qui n’entreraient pas dans le moule commercial des délinquants. Or c’est de la pratique paysanne que sont issues les variétés protégées par les COV. Les semences, que les industriels revendiquent aujourd’hui comme étant leur propriété, sont toutes issues de variétés qui ont été sélectionnées, conservées et améliorées par des pratiques paysannes ancestrales. Les industriels semenciers tirent directement profit de cette pratique, mais ils n’ont jamais versé le moindre centime pour ces avantages.
Si ces amendements sont adoptés, les dommages ne seront pas seulement financiers pour les agriculteurs. Il leur sera encore plus difficile de diminuer l’usage des pesticides et des engrais chimiques, rendus nécessaires par la culture des semences commerciales. Il sera plus compliqué de tendre vers l’autonomie énergétique, ou d’adapter leurs cultures aux conditions locales et au changement climatique.
Le Parlement s’est laissé, à de nombreuses reprises, transformer en simple chambre d’enregistrement pour les intérêts de lobbys particuliers, industriels et financiers. Il revient désormais à un curieux attelage d’empêcher l’adoption de ces amendements : les partis de gauche, Verts en tête, avec le Parti socialiste et le Parti communiste, des organisations de la société civile, comme le Réseau semences paysannes ou la Confédération paysanne, voire même le ministère de l’Ecologie. Dans les contradictions réelles qui parfois animent le gouvernement Fillon - Sarkozy, il n’est pas sûr que le ministère de l’Ecologie et du Développement durable accepte ce que tolèrent ses collègues du ministère de Agriculture.
PAR EROS SANA (21 MAI 2010 Basta)

mardi 4 mai 2010

La retraite, une affaire de jeunes !


Le gouvernement s’est engagé dans une nouvelle réforme à marche forcée du système de retraites. « Je veux dire aux jeunes de 20 ans que c’est justement pour eux que nous faisons cette réforme », affirme le ministre du travail Eric Woerth. Nous ne sommes pas dupes de cette hypocrisie. Une nouvelle fois, ce qui est mis en place au nom des jeunes se fait sans eux, et surtout contre eux. En limitant le débat à l’acceptation pure et simple d’un nouvel allongement de la durée de cotisation, le gouvernement adresse aux jeunes un message implicite, mais clair : la retraite ce n’est plus pour vous ! Jeunes en insertion, salariés ou étudiants, c'est sur nous que reposera le financement du système de retraite dans les années à venir, et c’est nous qui subirons toute modification du système actuel. Nous refusons d’être les grands oubliés d’un débat qui nous concerne !  
Jeunes, nous sommes attachés au droit à une retraite à 60 ans financée par répartition 
Attachés à  la solidarité entre les générations, nous souhaitons financer un système de retraite par répartition de haut niveau qui garantisse un niveau de pension permettant de vivre pleinement le temps de la retraite. Nous refusons que la retraite par répartition devienne un « filet de sécurité » a minima, insuffisant pour vivre. Nous refusons la logique d'une retraite basée sur la capitalisation individuelle, inefficace économiquement et inégalitaire socialement. Nous dénonçons la double peine que nous imposerait un nouvel allongement de la durée de cotisation ou un recul de l’âge légal de départ en retraite: nous finançons les pensions d'aujourd'hui, nous refusons d'avoir à épargner en plus pour nos vieux jours dans des fonds de pension qui peuvent être ruinés du jour au lendemain !  
Un débat de société  escamoté par une nouvelle opération comptable 
Parce que la nature du système de retraite qui se met en place contribue à façonner la société de demain, nous refusons la volonté du gouvernement de réduire ce débat à une simple équation comptable. En se limitant à jouer sur la durée de cotisation, le gouvernement s’attaque directement à la solidarité sans aborder les véritables enjeux du système : garantie d’un taux de remplacement, pénibilité, allongement de la durée d’étude et d’insertion, chômage, inégalités hommes – femmes (Aujourd’hui le temps partiel subi, la précarité de l’emploi impactent fortement la retraite des femmes.), répartition du temps de travail et des richesses.
En instrumentalisant les analyses du COR (conseil d’orientation des retraites) pour imposer l’allongement de la durée de cotisation comme seule perspective, le gouvernement élude la question centrale de la répartition des richesses. Depuis 20 ans, la part de la richesse produite attribuée aux salaires ne cesse de diminuer au profit du capital.
Alors que notre pays n’a jamais été aussi riche, nous n'acceptons pas qu'il soit demandé à la jeunesse de travailler plus longtemps pour toucher une retraite moins importante, conduisant ainsi notre génération à vivre des conditions de retraites moins bonnes que celles de nos parents ! Il n’est pas acceptable que l’allongement de la durée de la vie soit synonyme de régression sociale.   
Allonger la durée de cotisation ? Pour nous, c’est non ! 
Cela priverait les jeunes du droit à une retraite à 60 ans à taux plein. Pourquoi cet acharnement à reculer l’âge de départ en retraite quand le chômage des jeunes explose? L’augmentation des besoins de financement est une chance qu’il faut saisir. Nous refusons que le catastrophisme ambiant serve d’argument pour esquiver une nouvelle fois le débat sur la nécessaire augmentation des financements solidaires des retraites par répartition : taxation des stocks options et des revenus financiers, suppression du bouclier fiscal, élargissement de l’assiette des cotisations, suppression d’exonérations de cotisations. Si de nouvelles ressources doivent être immédiatement mobilisées, une véritable politique de l'emploi et de revalorisation salariale destinée à lutter contre le chômage et la précarité est également indispensable pour apporter les recettes nécessaires à la pérennité de notre système de retraite solidaire.    
Le système de retraites doit prendre en compte l’évolution de la société !  
Nous réclamons des réformes qui garantissent nos droits sociaux, et nous souhaitons faire évoluer le système pour mieux prendre en compte l’évolution de la société et pérenniser le système par répartition.
L’allongement de la durée des études et le recul de l’âge moyen d’entrée dans un emploi stable (27 ans) conduisent les jeunes à commencer à cotiser plus tard que par le passé. Nous exigeons : 
• la validation des années d'études et de formation dans le calcul des annuités ouvrant droit à la retraite, afin d’offrir à chaque jeune la garantie de pouvoir étudier sans être inquiété par son avenir, même lointain ; 
• la validation des périodes de stages, intégrée dans une véritable règlementation contraignante (rémunération à 50% du SMIC dès le premier mois, reconnaissance et encadrement dans la formation) ; 
• la validation des périodes d’inactivité forcée, et la prise en compte la situation des jeunes en situation d’insertion professionnelle pour qui l'enchaînement de stages, de CDD, d’emplois à temps partiel, de périodes d’intérim ou de chômage conduisent à accumuler des droits à retraite très incomplets ; 
En ignorant plus longtemps ces évolutions qui caractérisent notre génération, le gouvernement refuse de garantir aux jeunes qu’ils pourront à leur tour bénéficier d’une retraite solidaire à de haut niveau !  
Les jeunes seront au rendez-vous du débat public pour affirmer que la retraite est l’affaire de tous !  
Nous affirmons notre volonté d’agir ensemble dans les prochains mois afin de défendre l’exigence d’un système de retraites par répartition fondé sur la solidarité, qui garantisse à nos aînés comme aux générations futures une retraite de haut niveau à 60 ans. 
Les jeunes refusent d’être les grands oubliés du débat  qui s’ouvrent et exigent du gouvernement qu’il renonce à l’allongement de la durée de cotisation. Nous demandons à être associés aux discussions en cours.
Nous appelons à  la création de comités jeunes locaux pour organiser la campagne au sein de la jeunesse. Nous appelons les jeunes à se saisir du débat sur les retraites, à participer aux initiatives de mobilisation.   
Le gouvernement ne peut aborder le débat sur les retraites sans l’avis des générations directement concernées par cet enjeu social majeur : les jeunes d’aujourd’hui !
 
Organisations signataires :  UNEF, UNL, FIDL, Sud Etudiant, LMDE, CGT, FSU, UEC, Attac Campus, JOC, Génération Précaire, MJS, MJCF, Jeunes Verts, JRG, Réseau jeunes du PG, NPA, Gauche Unitaire Jeunes, Branche jeune d’AL

dimanche 2 mai 2010

2 mai

Ce matin dans l'interminable queue à la caisse du super-marché, une vieille bougon s'est permise:
"Normal, hier, ils n'ont pas travaillé, alors aujourd'hui c'est la queue... Ils leur ont donné un jour pour fêter le travail, ils en profitent...."
Puis le discours habituel de ceux qui n'ont vu le travail que de loin.
Alors, je me suis dit Emilie serait-elle morte pour rien?
A 17 ans qu'est-ce qui est passé dans sa tête pour se porter au devant des fusils? Bravade? Illusion qu'ils ne tireraient pas sur une ado?
Elle se faisait appeler Marie. C'est pour sa mémoire que je défile depuis des dizaines d'années. Elle voulait simplement une journée de congés dans l'année. Des hommes armés en avaient décidé autrement.


Alors quand j'entends "ils leur ont donné une journée" je me dis qu'il y a encore beaucoup de travail pour apprendre à certains que nos conquêtes, on les doit souvent au prix du sang versé.